Textes

le corps du dessin

le réel n’est pas un objet…c’est un processus ?

on naît, on vit, on est au monde, en devenir, processus d’existence, évolution de la chair, du corps et de l’âme depuis que l’homme et la femme sont êtres de chair, jetés sur la terre ; ils marchent côte à côte, se regroupent, se croisent, s’accouplent, se plaisent ; les corps se meuvent sur deux pattes, s’unissent et se défont.

corps en mouvement à l’unisson avec l’univers, en mouvement toujours et encore, se pensant dans un juste élan, en harmonie avec la matière.

corps de chair…de matière, ils sont êtres dansant.

le corps qui danse exulte, appelle la réunion des corps et de l’espace, il prend sens et la danse prend forme par la matière même de la danse.

par la danse, il met en jeu les rêves et les aspirations métaphoriques qui le composent, corps charnel, il ondule, explose, devient le corps rêvé, celui dont l’idée et la forme se fondent dans la matière.

je relis depuis peu le Cantique des cantiques, une relecture de Franck Lalou accompagnée de dessins de Woda, un texte qui revient à l’origine. ce poème est selon lui le rêve sexuel du monde occidental…

« j’ai vu des seins, des biches, des palmiers, des grenades, des fesses, des figues… »

il le voit comme un rêve, des rêves, ce poème n’a ni queue ni tête, nous met les sens à l’envers, le corps et la tête dans un désordre utile.

un rêve écrit en huit petites pages, sans début ni fin, comme un songe sans logique cartésienne, telle une suite d’images, une appelant l’autre, figures qui appellent le plaisir, les joies de la retrouvaille, la perte à nouveau, l’union…la fusion.

un poème qui s’articule dans cette alternance de la fuite et de la fusion.

juste un songe, utile, agréable, absurde, sans vérité aucune, un processus dans lequel l’idée et la forme s’ entremêlent…matière.

l’artiste n’existe pas ? serait-il à inventer, chaque jour et pour quel projet…seule la rêverie nous empoigne et nous donne vie et forme.

quel dessein au dessin ?

un dessin se construit, tout d’abord par le geste, prolongement d’une observation ou d’une idée, il peut tout aussi prendre forme en puisant dans le décor organique de notre être en s’entraînant à la conscience de la vitalité organique présente à l’arrière de toute activité mentale.

l’éducation a semé en nous un « je » superficiel ouvert aux influences destinées à le séduire et qu’il croit réfléchir. tout est fait depuis longtemps pour qu’existe en nous une sorte de double qui finalement est notre parasite…

la réalité a cédé la place à des images, images d’images qui rendent plus mince l’espace dans lequel circule la vie sociale.

minceur, vitesse…un monde plat qui rendrait tout visible et transparent.

désincarnation totale qui étouffe la composante charnelle intrinsèque à notre être vivant.

revenir à la matière, se réincarner dans le mouvement, la danse, le dessin. le corps est instinctif, le dessin pourrait être le geste de la perte du corps pour mieux le retrouver.

la matière du dessin

…l’idée et la forme déjà contenues dans la matière…

le dessein et la figure qui résultent de mes dessins déjà inscrits dans le jus de fleur, matière première de mon dessin.

c’est une encre, un fluide léger et chargé de pigments, un liquide semblable au sang.

sang de la fleur, humeur végétale que je choisis en fin de floraison. l’iris me confie son pigment.

pour dessiner, empoigner la tige de la fleur bien fanée et gorgée de jus, dessiner avec cet outil en lui faisant rendre toute son âme, jusqu’au pistil qui s’écrase en même temps que les lambeaux de pétales pénètrent le papier.

le jus, fraîchement posé a sa propre couleur qui s’oxyde aussitôt au contact de l’air et quelques fois se modifie beaucoup.

le plaisir au dessin est plus grand, plus intense que tenir un pinceau qu’on tremperait dans le jus de la fleur préalablement extrait…la forme plus libre d’advenir.

la fleur et son encre sont en contact très étroit et charnel avec mes doigts. être au bout de la tige, au ras des pétales et me salir les doigts avec beaucoup d’envie.

je dessine en faisant traîner la masse visqueuse des pétales produisant des figures puis écrase cette masse devenue informe. il me semble alors que la fleur éclate laissant couler le jus. elle me livre la matière au dessin.

travaillant à ce moment dans l’humide avec peut-être la sensation de me perdre…avec le sentiment de tenir entre mes mains une verge laissant jaillir le premier liquide, celui qui apparaît, transparent, prélude à la jouissance qui adviendra.

la fleur retient en elle une très grande quantité de liquide me permettant de poser les bases de 3 à 4 grands dessins.

il y a un plaisir immense à observer la couleur muter, et un autre plaisir à construire la figure en superposant différentes taches de couleur.

figure première, forme imposée par le jus, une odeur un peu âcre, entêtante qui peu à peu disparaîtra…avec le temps.

cette humeur est sensuelle, elle convoque le pli, la courbe, l’interstice, c’est une évidence.

ce jus est séminal, engendre le plaisir, le désir au dessin et à la forme, il invite l’organique, la figure se déploie et entre en danse.

c’est mouillé et froid, quelque peu visqueux et d’une couleur inégalée.

presser ce qui reste de la fleur, regarder les doigts se gorger de ce jus, mouiller et dessiner…

tracer sur le papier, laisser venir les courbes, les arabesques, entrer dans le cœur du féminin, laisser advenir sur le papier, faire en sorte que l’outil gorgé de jus fasse émerger la forme jusqu’à l’éclatement, jusqu’au jaillissement.

le dessin de l’oeillet est vivant, en mouvement et se réalise en plusieurs strates permettant à la première figure de sécher et d’être recouvert par une autre flaque.

il s’agit d’une danse, il s’agit d’un sexe gorgé de semence qui fait naître un autre sexe, celui qui reçoit.

quelques temps après, un an voire plus…les autres outils entrent dans la danse.

pointe sèche

cendres

crayon graphite

pierre noire

ils relèvent d’un tout autre désir et révèlent un autre état du dessin.

outils plus conventionnels, je les utilise depuis plus longtemps, est-ce vraiment utile de parler de leur matérialité ?

de l’humide, je passe au poudreux, au sec…

la pointe sèche creuse des sillons, je laboure mais ne vais rien semer dans chacune de ces entailles qui restent virginales, révélées ensuite par la cendre, le crayon ou la pierre.

le jus de fleur a fait naître la figure.

la forme a éclos.

la figure a pris matière.

la matière est matrice de la forme…